Le réservoir Scandinave semble bien ne jamais vouloir s'épuiser. Ils arrivent par vague, ces jazzmen nordiques, depuis plus de vingt ans, et à chaque fois ils redessinent les contours du jazz contemporain. Jon Balke est de ceux-là, venant se faire connaître après le raz-de-marée de Nils Petter Molvaer, Bugge Wesseltoft, Tord Gustavsen ou bien sûr Esbjörn Svensson. Activiste depuis de nombreuses années (on l'entendait en 1985 sur Bande à Part avec Arild Andersen), Jon Balke ne se fait réellement remarquer que depuis peu, dans un relatif passage à vide de son fameux label ECM. C'est en 2005 que sortit l'intrigant Statements, mariage incongru entre la répétitivité d'un Nik Bartsch, les gimmicks de Nils Petter Molvaer ou Eivind Aarset et une ribambelle de percussions africaines. La surprise est donc double quand on apprend que ce Book of Velocities est une grande pièce solitaire, Jon Balke seul avec son piano, à la recherche d'un miroir musical à l'impression de vitesse – et à l'ivresse qu'elle procure. La pochette de l'album vient de la collection du pianiste lui-même, de la série de photographies où il essayait de capter sur pellicule cette sensation, avant donc de tenter de la retranscrire sur son instrument.
Jouer l'impression de vitesse n'est pas jouer vite, c'est jouer la perte d'équilibre, le continuel moment de vacillement où l'on est plus tellement à sa place, instant à la fois grisant et maladif. Jon Balke joue de toutes les possibilités de son piano, dans toutes ses sonorités, mais sans jamais pousser jusqu'à l'accident sonore, jusqu'au chaos. Il reste dans le dérèglement de mélodies toujours titubantes, invariablement présentes mais toujours à un doigt de la perte de contrôle.
Book of Velocities joue donc le trop plein de vitesse au moment où justement la tête tourne et ralentit les perceptions. Ce n'est pas rien d'arriver à ce vécu, et il ne reste plus qu'à féliciter Jon Balke pour ce joli simulateur métaphysique.
3.5/5
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