mardi 26 août 2008

Christophe - Aimer ce que nous sommes (Az/2008)

Il faudrait à force ne plus être surpris de la carrière de Christophe. Celui qui aurait pu comme tant d'autres s'éteindre après le tube d'un été – Aline – n'a cessé depuis 40 ans de pousser la chanson hors de ses structures canoniques. Le succès de ses titres les moins tortueux l'aura toujours amusé, et c'est non sans un certain émerveillement qu'on le voit s'en étonner encore. Car Daniel Bevilacqua a toujours eu les yeux braqués ailleurs, dans une quête d'excellence plus intimiste que trop publique. Aimer ce que nous sommes en est le plus vibrant exemple. Passés deux ou trois titres à l'émotion claire et tendue – Mal Comme, Parle Lui de Moi – Christophe avance dans un étrange concert de kitscheries et d'expérimentations totales. Christophe reste grand romantique martelant salves de mots bleus, mais en tant que poète d'aujourd'hui, il manipule la forme musicale comme les plus audacieux – faisant de ses textes des calligrammes et de ses compositions des images de film.
Son imprudence à lui est d'avoir convoqué autant d'univers que de participations à l'album. Christophe Van Huffel, guitariste de Tanger, apporte les frissons suspendus de Chris Isaak et de puissantes décharges noise. A ceux-ci s'ajoutent les cordes de Eumir Deoda
to – qui ont consacré Björk pour Homogenic –, la trompette d'Erik Truffaz et – comble du raffinement – l'électronique du génial Mexicain Murcof. On pourrait encore name-dropper des dizaines de personnes, tous de passionants personnages d'horizons fous, plaçant chacun son allumette sur la maquette rétro-futuriste dessinée par Christophe.
S'il faut donc l'écouter avec une minutie d'entomologiste, du fait de son ambition et de sa densité, Aimer ce que nous sommes n'en est pas moins un vrai disque d'auteur, dont le spleen erratique conquira les coeurs les plus fébriles. A bon entendeur.

5/5

jeudi 21 août 2008

David Bowie - Heathen (Columbia/2002)

Dans les figures emblématiques que l'on ne considère qu'à l'état venteux, il n'y a guère que Miles Davis et David Bowie. L'un comme l'autre n'ont jamais trouvé de forme définitive, portés par un mouvement de réinvention effréné, limite inquiétant dans leur manière de tenir par les couilles le futur musical que nous allions vivre. Davis a imaginé le jazz dans sa face la plus lumineuse et contemplative – son jazz modal – avant de gratter à l'autre bout, du côté du brouillard rock et des orages électriques ; Bowie, dans un geste similaire, a franchi toutes les barrières de la théatralité pop avant de se renfermer et de s'enfoncer dans l'obscurité Berlinoise. Miles Davis est mort en annonçant le hip-hop, sans génie, avec juste le don de ceux qui annoncent les décennies prochaines ; s'il est écrit qu'il connaîtra le même destin, David Bowie aurait pu mourir pas mal de fois ces vingt dernières années – par exemple en 1995 à la sortie d'un Outside très moyen qui formalisait tout de même l'importance de la techno et de la scène industrielle, préfigurant du même coup l'electroclash.
Toute cette grande introduction pour dire qu'on ne penser pas trouver, en 2002, un disque de Bowie à l'allure solide. Un album dur comme de la pierre, qui n'a rien à dire au-delà de ces extrémités, petite boîte à secret, parenthèse entre des disques médiocres et simulaténemnt prophétiques. Heathen est juste un bon album, sobrement rock à l'occasion (avec reprises de Neil Young et des Pixies à la clé), grandiloquant lors de refrains très début 70's, héritant de l'étrangeté de Low ou Heroes pour d'hypnotiques balades (Slip Away, I Would Be Your Slave). Pas d'égarement, plus d'envie de changer le monde : Bowie est à cet instant un grand homme digne devant sa condition d'artiste vieillissant. Il n'en faut pas plus pour l'aimer comme au premier jour.

4/5

mercredi 20 août 2008

Arab Strap - The Week Never Starts Round Here (Chemikal Undergound/1996)

Difficile, toujours, de parler d'un des groupes que l'on considère sans doute parmi ses préférés. Surtout quand le paradoxe s'installe et que l'on va parler de leur album le moins bon. Leur premier, The Week Never Starts Round Here, n'est qu'un brouillon dont le sens et l'assise ne s'imposent que dans l'après-coup – une fois le groupe séparé et qu'il ne reste plus qu'à regarder dans ses rétros. Arab Strap, duo écossais, a pendant dix ans joué la musique évocatrice que l'on aurait jamais osé rêver. Proches de Belle & Sebabastien (preuve en est leur célèbre dédicace The Boy with the Arab Strap) et de Mogwai (ils s'invitaient les uns les autres sur leurs disques, notamment sur Young Team), Aidan Moffat et Malcolm Middleton ont, à eux deux, crée une formule bicéphale aux effets proprement magiques. Moffat, poète ivre de filles laides et de cul, frère Guiness de Gainsbourg, marmonne des centaines de lignes d'un texte cru et fragilisé par les airs de son compère Middleton ; lui, multi-instrumentiste, armé d'une boîte à rythmes à la vétusté indécente, se charge de créer des atmosphères et des soubresauts synthaxiques. Cette dualité, belle et immortelle dans les enregistrements de Philophobia ou the Red Threat, se voit ici enregistrée en plein work in progress – sorte de caméra embarquée en pleine préparation d 'avant JO : ce sont des foulées prometteuses, des temps de récup et des essais techniques auxquels on assiste. Le relai ne se passe pas toujours – à deux reprises Middleton arrête de jouer, ou Moffat continue à parler une fois la chanson finie, le tout sur plusieurs minutes bizarres. A d'autres moments, Moffat est également obligé de chanter, chose à ne surtout refaire. En somme, les deux se jaugent encore assez mal, et pourtant on sent que déjà quelque chose est en gestation. The Clearing, assaut shoegaze d'un genre nouveau, General Plea of a Girlfriend et Little Girls : voilà trois morceaux qui préfigurent le meilleur, le spleen fou de deux losers à la comptabilité confondante. Que dire de plus, si ce n'est que la seule raison de parler de ce disque, c'est que l'on commence toujours les plus belles histoires par le début.
3.5/5

mercredi 13 août 2008

Blue Sky Black Death - Late Night Cinema (Babygrande/2008)

Vous voulez encore du Babygrande Records, avec ce que je viens de dire sur Snowgoons ?
Blue Sky Black Death, aussi connus pour leurs travaux personnels que pour leurs productions pour l'affilié Wu-Tang The Holocaust, font leur balade noctambule avec ce Late Night Cinema qu'on aurait toutes les raisons de craindre ; il est presque aussi symphonique que le Black Snow des allemands ou qu'un album de Craig Armstrong. Finalement, par un sentiment très simple, a priori peu flatteur, aucune lourdeur instrumentale ne vient plomber cette tentative introspective. La grande monotonie qui nous prend rapidement permet effectivement d'arrondir les pics qui auraient pu s'avérer trop dramatiques. Les dix pièces de Late night Cinema se ressemblent toutes plus ou moins, possèdent en elles la même répetitivité, la même narration nonchalante et anti-démonstrative. Pris dans les mouvements d'une heure de grande fatigue, Late Night Cinema déroule un hip-hop instrumental ouaté, empreint d'une grande beauté résignée, utilisant les samples célèbres (Morricone, Le dernier des Mohicans) comme on étreint son coussin en plein sommeil. Avec une qualité intrinsèque limitée – si ce n'est l'utilisation parfaite des samples vocaux, les Blue Sky Black Death déambulent dans leur propre nostalgie. Et nous, on se fait prendre par les sentiments.
4/5